Écoute, petit...
C’est de l’Andalousie que venait Diego Camacho Escámez, Abel Paz de son nom de guerre, une des voix les plus singulières de l’anarchie au XXe siècle. Diego, né le 12 août 1921 à Almería (le Miroir de la mer, en arabe), vient de s’éteindre à Barcelone le 13 avril 2009. Son extraordinaire volonté de vivre a traversé le siècle et, dans les trente dernières années, irrigué bien des lieux de résistance sur plusieurs continents. De cette enfance andalouse, entre scorpions et figuiers de Barbarie, Diego gardera ses affinités avec les Gitans et leur sens poétique de l’improvisation. La parole et l’écriture sont vite devenues les armes principales de cet insurgé viscéral qui nous lèguent une douzaine de livres essentiels, écrits en espagnol, et dont le témoignage, aussi émouvant que riche d’enseignement, a été enregistré et filmé.
On ne peut ici que donner la chronologie et brosser les grandes périodes d’une vie dressée contre la soumission et contre le destin : l’émigration à huit ans, en 1929, en Catalogne ; deux ou trois années à l’école libertaire Natura dans le quartier barcelonais du Clot ; jeune ouvrier, l’adolescence et la révolution sociale de 1936 à 1938, à Barcelone, avec la CNT, la FAI et les Jeunesses libertaires ; l’exode et les camps en France de 1939 à 1942 ; le retour en Espagne, la résistance clandestine avec la CNT contre la dictature franquiste, les longues années de prison ; le second exil en France, de 1953 à 1977, la lutte contre la maladie – tuberculose –, le travail en imprimerie de labeur, le premier livre, Paradigma de una revolución (publié en 1967 par l’AIT à Toulouse), sur l’insurrection du 19 juillet 1936 à Barcelone ; les barricades – qualifiées de drapeaux de pavés – parisiennes et l’espoir libertaire renaissant dans la lutte sociale en 1968 ; le deuxième livre, Le Peuple en armes, biographie de Durruti (publié par La Tête de feuilles à Paris en 1972), œuvre passionnée et monumentale, de recherche, d’enquête, d’écriture, élaborée pendant plusieurs années en marge de la vie d’ouvrier ; la véritable naissance d’« Abel Paz » avec ce livre qui sera traduit en de nombreuses langues dont le japonais et le turc ; le retour à Barcelone, dans le quartier de Gracia, et les trente dernières années, de 1978 à 2009, où Diego, écrivain anarchiste autodidacte (il publie encore dix livres de Mémoires ou d’essais historiques), tient porte ouverte, reçoit les visites de libertaires du monde entier et sillonne lui-même la planète (Europe du Nord au Sud, Australie et Asie) en malicieux conférencier et en inlassable voyageur toujours curieux de l’humanité.
Diego a mené un inestimable travail d’enquête continue, de mémoire et d’écriture sur la révolution espagnole qui rejoint, dans la voie de l’histoire anarchiste ouverte par Max Nettlau, celui de Voline sur la révolution russe et est parallèle à l’œuvre de compagnons et amis comme Antonio Téllez et Alexandre Skirda. Les livres de ces historiens libertaires – Max Nettlau, José Peirats, Abel Paz, Alexandre Skirda, Antonio Téllez... –, dont les recherches sont indissociables de l’engagement, donnent aujourd’hui au moins autant de force et de cohérence à l’anarchisme que ceux de ses philosophes et théoriciens, car ils témoignent de son ampleur historique et humaine. En leur ajoutant les autobiographies et les Mémoires se constitue une formidable bibliothèque libertaire, outil de transmission qui peut ouvrir de larges perspectives pour le mouvement social et réveiller son imagination. Grâce à ces efforts, le passé revit et nous appartient.
Diego fut aussi un merveilleux conteur, un griot de l’anarchie. Cette part de sa vie nous est partiellement restituée par le cinéma, en particulier par le film sensible que Frédéric Goldbronn a réalisé en 1999 dans une bodega de la calle Verdi, à Gracia. À soixante-dix-sept ans, le vieil homme médite à voix haute sur les moments intenses de la première partie de sa vie, sur la mémoire et sur l’histoire collective. Il a lui-même proposé la fin du film, simplement intitulé Diego, mettant en scène sa disparition. Le bon voisinage avec les Gitans d’Almería a pu aiguiser son sens et sa curiosité artistiques pour la musique comme pour les arts graphiques. Un concert du bluesman malgache Tao Ravao dans une cave de Saint-Germain-des-Prés fut l’occasion d’une mémorable soirée avec Diego en compagnie de son ami Pierre Lepetit. Diego a beaucoup fait pour la reconnaissance de l’œuvre du peintre et poète gitan anarcho-communiste Helios Gómez.
Edouard Waintrop, dans un bel article publié en 2001 par Libération, cite ces paroles de Diego à de jeunes libertaires en Catalogne : « Quand vous allez au café, quand vous rencontrez des gens, vous voyez bien qu’ils sont malheureux. Et vous savez bien aussi qu’ils le savent. Vous voyez bien que ce qui manque aujourd’hui entre les gens c’est la communication. C’est à vous de la rétablir. Quand les gens échangeront de nouveau sur leur vie, ils n’accepteront plus leur sort. Il faut discuter avec les gens, sans acrimonie, avec modestie. Rétablir la communication c’est important. Moi à Barcelone, quand je vais au bistrot, je m’assieds presque toujours à la table où il y a quelqu’un qui déjeune seul. Le serveur peut tiquer. S’il demande à la personne que je rejoins son avis, elle est toujours d’accord. Rompre la solitude des gens c’est déjà beaucoup. Parler de tout et de rien avec eux, c’est énorme. »
Diego, qui a dédié le Durruti « à Jenny, pour sa collaboration constante et continue qui ont rendu possible ce livre », écrit dans Viaje al pasado : « L’anarchisme est la poésie de la vie et l’amour en est sa plus haute expression. » Que l’on s’en souvienne !
Marc Tomsin
Tras la muerte de Abel Paz, su vida y obra es relatada por la radio RNE, en el programa Asuntos Propios.
Sur/acerca de
Helios Gómez
Si, Diego, te queria mucho. Y tu por el local de la CNT en BCN ibas como loco detras de las mujeres jajaja! no entendi nunca con lo feo que eras el exito que tenias jajaja!y a mi tambien me toco pero nos queriamos tanto y desde hacia tanto tiempo que ya era mas una broma que otra cosa jajaj pero Marc te define tan bien que es una delicia . Recuerdo cuando nos presentaste tu traductor japones del libro de durruti creo que aun lo tengo por casa , el japones no, claro , su libro jajaja! Un abrazo eterno amigo
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