"Lauriers dans l'aurore" Raymond Douillet |
Ceci pour ceux et celles qui ne lisent pas l'espagnol .. voici un beau texte de Maria Zambrano la philosophe de l'Amour.
Plus encore que le silence des ténèbres l'aube est annoncée par un silence spécifique, un silence révélateur que l'inquiétude de celui qui attend ou espère ressent comme une imminence: "Elle vient , elle est en train de venir". Le condamné, non à mort, mais à mourir, le ressentira d'une manière impossible à transcrire, même si il lui est donné de continuer à vivre . Mais si l'on n'espère ni ne craint, alors arrive la révélation de ce silence par lui même, sans promesse aucune. La promesse voile si souvent la présence réelle, la révélation vivante . Le nec spes nec metu des stoïciens prend ainsi un sens.
Libre d'espoir et de crainte, l'esprit laisse l’âme à son vagabondage, à sa réceptivité originelle. Et à ce moment de la germination silencieuse de l'aurore, s'il est libéré de ses deux affections contraires, on entend ce silence incomparable, indicible, au-delà de toute définition, de tout concept. C'est le silence de la conception de la lumière, dirons nous, même si nous savons grâce à l'indiscrète science que les choses ne se passent pas ainsi, que cette lumière est bien là et qu'il suffit, pour qu'elle apparaisse, que la terre , et non le soleil, qui en est la source, tourne légèrement sur son axe.
Mais si l'on n'espère ni ne craint, la science rassurante, aplanissante, perd son pouvoir, elle s'estompe.
Et ainsi le silence de la conception qui fait de la lumière une lumière vivante, et non pas seulement offerte à la perception, se fait sentir, il s’étend sans limites, doucement, comme une huile de vie, comme si la vie naissait en elle, l'indéfinissable vie dans la lumière; l'insaisissable vie qui est elle même lumière, et ne fait qu'un avec elle.
L'aube vient la première, à peine clarté qui efface les ténèbres plus qu'elle ne les défait, encore silencieuse: l'heure de la liberté, l'interrègne ou tout est possible, ou tout est amour qui obéit sans
s'en apercevoir; le royaume situé entre les deux royaumes de la lumière et de l 'obscurité. Ce royaume qui n'en est pas un, car il n'y est pas d'autre impératif que celui de l'amour qu'on ne sait pas, le bienheureux amour, encore sans ombre. Le jour se lève.
Maria Zambrano "de l'Aurore" (XII La germination silencieuse de l'Aurore)
Traduction de Marie Lafranque
Editions de l'éclat
VOIR AUSSI ICI :
https://www.facebook.com/notes/ambre-obscur/la-raison-po%C3%A9tique-maria-zambrano-de-laurore-xii-la-germination-silencieuse-de-l/353632134843924?pnref=lhc
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